Denise017
« In-fil-tra-tion au ni-veau – 2, un hu-ma-noï-de pi-pè-de non-ré-per-to-rié ten-te de pi-ra-ter la sé-cu-ri-té du sas. Que tou-tes les sen-ti-ne-lles se ras-sem-blent au point A-l-X-45 pour une in-ter-ven-tion im-mé-dia-te. Que les hu-mains res-tent dans leur bu-reau et pren-nent la po-si-tion “breath” se-lon le co-de de Sé-cu-ri-té… Je ré-pet-te…In-fil-tra-tion... »
Une myriade de voyants rouges clignotaient dans le labo pendant que Rudolph continuait d'hurler son alerte.
Denise, terrorisée, sursauta et envoya valdinguer sa gamelle, puis fila en titubant se réfugier dans sa couveuse. Tous se regardèrent, ne sachant quelle position adopter. S'agissait-il d'un énième bug de Rudolph, ou pour une fois d'une véritable alerte ?…
Soudain, ils entendirent une explosion sourde et tout le bâtiment sembla vibrer. Quelques instruments en sweet-verre se brisèrent, puis se fut le silence. Durant quelques secondes chacun pu percevoir les battements de son propre cœur.
Les unes après les autres, les lumières s'éteignirent, les appareils électroniques tombèrent en panne. D’abord les néons à proximité du sas, puis la photocopieuse et enfin la cafetière. La zone de perturbation avait pour épicentre le sas, et semblait s’étendre au reste du labo inéluctablement, comme un tâche d’encre sur une feuille de papier humide.
En quelques secondes, tout l’étage sombra dans l'obscurité.
Tabatha entendit Doug claquer des dents de trouille.
— Mon Dieu, c’est une charge électromagnétique!…
Elle avait lu un article de fond sur le sujet dans le Cosmo de la semaine dernière : peu de bruit, peu de fumée, aucune odeur: La E-bomb était d'après l'article, une bombe "propre" à énergie micro-ondes de forte puissance, mais son impact était jugé négligeable sur les êtres humains, faute de preuves cela dit, (puisque ces armes étaient interdites par la convention internationnale depuis 2023). En revanche, tous les équipements électriques et électroniques étaient réceptifs et donc vulnérables… Plus aucuns téléphones, ordinateurs, ou pace-makers ne pouvaient fonctionner à moins de cent mêtres à la ronde…
Les Spy-Sentinelles avaient dûes elles aussi, griller. A moins qu’elles ne soient protégées par un système dit "Barrière-Mirroir". Dans ce cas seulement, elles ne pouvaient émettre ou sonner avant quelques secondes, quelques minutes tout au plus, suivant la sophistication du dispositif.
Denise grattait dans sa couveuse, Doug se cachait sous son bureau, Murdoch semblait dans les choux. Quand aux deux autres, ils devaient être plus loin, quelque part entre la couveuse et le mur. Tabatha, toujours accroupie avança doucement vers la porte… Elle se pencha, et dans le couloir, lorsque ses yeux s’accoutumèrent enfin à l’obscurité, elle distigua une silhouette noire qui s’approchait prudemment du laboratoire.
C’était un individu de taille moyenne dans une combinaison de survie noire, en Tech-Komba©. Deux Perso-Mano-Sentinelles se déplaçaient à ses cotés, éclairant d’un petit cône bleuté sa progression à l'aide de leurs Nano-sweet-torches.
L’individu avait un masque avec filtre à oxygène et lunettes intégrées, certainement thermographiques, d’après ce que savait Tabby sur les équipements militaires.
Elle était donc parfaitement repérable ainsi que ces amis…
L'intrus pointa son arme d’assault en plastique de synthèse dans sa direction. Les deux Perso-Mano-Sentinelles voletèrent autour de Tabby, et avant qu’elle n’ait pu dire un mot, lui injectèrent par aiguillon intradermique une dose de somnifère…
Denise 016
Au 5ème sous-sol, dans le labo d'expérimentation, il y avait effectivement du monde:
Denise, était au centre de toutes les attentions.
Après avoir exigé un copieux petit-déjeuner constitué d'une purée de cacahouètes et de pétales de moules déshydratées — ce qui laissait planer comme un étrange parfum dans le labo — elle devait être soumise à une première oscultation générale. A la suite de quoi, n'y tenant plus, Zven et Tabatha partirent en baillant s'en griller une sous la pluie.
Murdoch était bluffé. Sa créature était bien plus brillante qu'il ne l'avait espéré !
Sa loutre accepta sans rechigner de se soumettre à une batterie de tests psychomoteurs. Pour se faire, elle prit sagement place sur un siège bien trop grand pour elle au dessus duquel deux rangées de sondes se chargeaient d'enregistrer ses constantes. Les données physiologiques à peine lancées, elle rendit à Doug son carnet de Sudoku entièrement résolus!
Murdoch et son adjoint échangèrent un sourire entendu. Décidemment, Denise était une bête à poils qui frisait la perfection! Et finalement, seul son strabisme "divaguant" pouvait poser problème. Ce n'était d'ailleurs pas grand chose. Murdoch s'était en effet aperçu que les yeux fonctionnels de Denise, greffés sur la pointe de ses petites miches, avaient une fâcheuse tendance à balloter au grès de ses mouvements, ce qui lui occasionnait quelques nausées passagères et de petits problèmes de repères dans l'espace. En d'autres termes, si intelligente fut elle, Denise titubait, se cognait régulièrement la tête et ratait une fois sur deux sa bouche en mangeant.
Elle en foutait partout.
Pendant que Zven s’était enfin décidé à prendre une petite cuillère pour filer un coup de main à Denise afin qu'elle termine son repas sans tapisser l'endroit de bouts de moules, Murdoch se demandait comment il pourrait mettre la main à une heure aussi tardive, sur un soutien-gorge aux mensurations si minuscules. Il y avait bien un magasin de jouets au SuperWally Discounter, mais à coté de sa Denise si frêle, toutes les poupées vendues telles qu'il se les imaginait, lui semblaient dotées d'énormes mamelles de silicones... A moins qu'il ne lui en confectionne un avec une ficelle et deux talons de chaussettes?... tiens, pourquoi pas! C'était une idée intéressante, il lui restait bien une paire en viscose mauve dans son casier...
soudain, une lueur rouge illumina tout l’étage. La sirène déchira le silence de son hurlement.
Denise 015
Toronto 8 août 2033
Sonia Zakousky était tendue.
Elle avait comme un mauvais pressentiment depuis hier soir. Ses
spy-sentinelles s'étaient fait éjecter du Spa de l'Unité de Recherches
Aléatoires et Comparées et Buzz, son pirate informatique le plus zélé,
ne parvenait plus à espionner les dossiers classés confidentiel de
Kiki. Les Illuminacés allaient devenir dingues si elle leur apprenait
que quelque chose lui avait échappé!… Il fallait qu'elle en ait le cœur
net.
Elle se dirigea vers le vestiaire avec la ferme intention de revêtir
une combinaison en Hydrolynx© pour pénétrer incognito dans les locaux
de Murdoch.
« Pfff!… dix ans qu'il n'en fout pas une ramée, et tu vas voir qu'il va me foutre en l'air tout mon taf!…».
Elle jetait un oeil par la fenêtre de son bureau en murmurant ces mots,
lorsqu'elle se rendit compte qu'une vieille voiture venait de se garer
sur le parking réservé au personnel. Stupéfaite, elle découvrit Zven
Dos Santos et Tabatha Krüger-Laverdure sortir à droite du véhicule.
En soi, la situation n'avait rien d'exceptionnelle. C'était plutôt la
façon dont ils s'extirpaient péniblement du véhicule qui était étrange.
De son poste d'observation, il lui semblait que Tab et Zven sortaient
l'un contre l'autre, à taton, en pouffant comme des gamins.
En fait, non. Seul Zven rigolait vraiment, car Tabatha elle, avait
l'air de souffrir le martyr : Une mèche de sa flamboyante chevelure
s'était salement emmêlée dans la fermeture Eclair ventrale de la
combinaison de son collègue. Elle grimaçait comme si elle venait de
gober un oursin. Zven avait sorti son Cutopinel© pour les séparer, mais
la manœuvre avait l'air pour le moins scabreuse.
C'était un spectacle intéressant de les voir se tortiller de la sorte,
l'un sur l'autre, comme une sorte de scarabé géant ayant chopé la
tourista. Mais Sonia ne se laissa pas déconcentrer.
À cette heure-ci, elle était encore seule dans le petit bâtiment chromé
attenant au blockhaus principal de la Midwest. Elle pouvait agir vite,
et si le temps le permettait, avant même que les Illuminacées
n'investissent ses méandres intérieurs pour venir récuperer les
informations. Avec eux, pas question de feinter. Tout juste de gagner
du temps, et encore...
Elle avait tout mis en œuvre pour entrer en contact avec eux, elle
n'allait sûrement pas tout gâcher maintenant!. Si cela venait à se
savoir, elle ferait des jaloux... Avoir l'immense privilège de
collaborer avec Lux Vocifer, l'Entité Métapsychique Irradiante
et pouvoir peut-être un jour, enfin partager avec sa Fratrie le secret
de "La Menace" des Illuminacées. C'était en tout cas le sens de sa
démarche.
D'aucun dirait qu'elle était folle, qu'il s'agissait d'une légende, que
personne ne croyait à ces sornettes, car d'ailleurs personne n'avait
jamais approché de près ou de loin ni Lux Vocifer, ni la moindre
Entitée, alors...
Alors?... Pourtant, Sonia savait ce qu'il en était. Elle avait été
contactée, lors de son initiation, elle en était sûre! Parfois, même,
ça vibrait sous sa peau ! Des membres réceptifs l'avaient fait basculer "de l'autre coté d'elle-même" pour lui communiquer dans sa chair, ce qu'Ils étaient en droit d'exiger d'elle, si elle voulait pourvoir partager un jour le savoir et se protéger du "Grand Secret"...
Depuis, il se passait des choses en elle. ça chuchotait dans son être, ça
ondulait d'impatience au plus profond d'elle, sous ses muscles. C'était
délicat et terrifiant à la fois de sentir son être intime si réceptif.
Elle soupira profondément.
Il était encore très tôt, une fine pluie d'hydrocarbure commençait à
tomber. Dans une demie heure à peine, le paysage prendrait de tristes
teintes sépias et l'air s'imprégnerait de cette entêtante odeur de
dissolvant. Elle serait alors tranquille pour se glisser quelques
minutes dans les bureaux...
Pourtant, au moment même où elle s'apprêtait à revenir sur ces pas,
quelque chose d'autre attira son attention : Les grilles d'aérations,
au pied du bunker... Leurs volets étaient relevés ! Elle n'avait pas
prévu ça... Il y avait donc quelqu'un au labo, à 5h12, un dimanche!
Il allait falloir faire preuve de beaucoup d'habilité...
Denise 014
« Putain, je suis vraiment leur larbin! » Pensa Doug alors qu’il courait vers les vestiaires en faisant
un petit bruit de moteur avec sa bouche…
Une boite d’huîtres, une autre de préservatifs "Small roudoudou", un gant de toilette en crin, trois Tee-shirts de l’Alternat Union, un miroir cassé, une pile d’autocollants de hip-hop, une flopée de vêtements sales,
des petits sachets en plastique remplis de terre, de cendre ou de sable, des mégots, des culs-de-joints,
des bonbons, des paquets de gâteaux vides, une brosse à dent, une autre boite de préservatifs, un téléphone portable cassé, un jean déchiré au cul, du sel, un escarpin vert troué au gros orteil, un tire-bouchon, un tampon, un stylo et puis deux, et un livre, enfin :
« La psycho pour les nuls. Les clés de l'esprit pour appréhender l'autre et se comprendre soi-même »…
Il le feuilleta en revenant au labo, et le tendit froidement à Zven, ouvert au chapitre
« Ethologie, comportement animal »…
Doug avait décidé de faire la gueule, il était véxé, il aurait voulu frimer un peu devant Tab et Zven mais au lieu de ça, Murdoch le faisait passer pour la Dame Pipi de l'étage! Il observa Denise et soupira.
Bizarrement, elle semblait lui sourire...
Décontenancé, il fronça les sourcils et toussota. Mais Denise ne le lâchait pas des yeux et, pendant que les autres se penchaient sur l'introduction du bouquin, elle leva doucement son index et lui fit signe de s'approcher. Doug s'avança discrètement et tendit l'oreille aux chuchotements de la loutre.
— Tu ne dois pas te laisser faire, Douggy, tu n'es pas leur chose. Ni moi, ni toi ne leur appartenons. Nous ne sommes pas des animaux!…
Elle avait une drôle d'haleine qui rappelait à Doug les gratins de sushis de sa mère.
Elle lui fit un clin d'œil complice et son sourire mutin le mit mal à l'aise. Lentement, elle tendit sa petite patte velue et lui saisit les doigts .
— Tu dois les tuer, Douggy, tu dois tous les buter. Et si tu veux... je peux t'aider. A nous deux... On va leur faire bouffer leurs petites couilles, hmm ? Ca te dit ?...
Horrifié, Douglas fit un bond en arrière. Il hésita à prévenir les autres, mais se ressaisit. Finalement, valait mieux avoir la bestiole dans la poche.
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Il murmura un petit “bordel de merde” de mauvaise augure en se raclant la gorge et ouvrit le petit boitier. Le silence glissa sur lui, enfin, comme une caresse. – Hmm....Murdoch, j’écoute?... – Professeur, c’est Doug. Désolé... Je sais que je vous dérange, mais c’est une urgence!... Il faut que vous descendiez au Labo... – Que se passe-t’il Dougy ?.... Heu, je crois que vous aviez raison... Ce que nous attendions tous est en train de se produire, venez vite... – QUOI ?... Comment ça... qu’est-ce que ? ... C’est pas vrai !... – SI !!... Denise la loutre transplantée du bloc 4 est sortie du coma artifciel et... il faut que vous veniez !…, les premiers test sont bluffants et...... – J’arrive tout de suite, nom de Dieu !.. souffla Murdoch en raccrochant. Il s’extirpa de son fauteuil en grimaçant, enfila ses tongues en jetant un œil dans le miroir du couloir. Sa mine était désastreuse, blafarde, ravagée par des nuits sans sommeil. Du revers de la manche il essuya le badge orange qui pendait à sa poitrine sur lequel était écrit: Pr. Murdoch Ramouncho-Lopez Midwest Central Research agency Directeur des Unités de Recherches Aléatoires et Comparées Sauf que quelqu’un avait un jour rajouté d’un coup markeur: “Biboule, tu sens le fenec !”. Finalement, on ne lisait plus grand chose. Il se passa une main dans ces longs cheveux sales, urina dans le bac à plantes de l’entrée et disparu dans les couloirs sans fin du Midwest Central Hospital. Le claquement de ses tongues s’effaça progressivement sous le vrombissement des néons...